La vie à Cournonterral sous l'Ancien Régime

à travers la vie de nos ancêtres

Le récit de Marie Molinier

Pour rendre ce récit plus lisible, je me suis permise de le diviser un peu pour pouvoir donner quelques explications au fur et à mesure.

Ce récit a été rapporté dans "Bulletin de la société de l'histoire du protestantisme français, Documents historiques inédits et originaux, XVI, XVII et XVIIIème siècles, année 1913"

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Contexte et naissance de Marie Molinier

Marie Molinier

"Mémoire pour mes enfants

Mes chers enfants,

J'ai cru nécessaire, pour vous affermir dans notre sainte religion, de vous faire part de ce qui est arrivé dans la persécution en 1685 par la cassation de l'edit de Nantes, sous le règne de Louis quatorze.
Comme j'espère que le Seigneur a bénit les faibles efforts que j'ai faits pour vous former dans sa connoissance, et graver dans vos coeurs les instructions que je vous ai données dès votre tendre enfance, je le prie de tout mon coeur de vous donner le zèle de... pour la vérité, et de faire que votre foi ne prenne d'autre guide que sa sainte Parole divinement inspirée et profitable à enseigner et convaincre selon justice, afin que l'homme de Dieu soit accompli et parfaitement instruit à bonne oeuvre. Souvenez-vous toujours de ce que le Saint-Esprit dit dans le chap. 8ème verset 20 d'Esaïe : "à la loi et au témoignage, que s'ils ne parlent point selon cette parole, il n'y aura point de matin pour eux." Notre divin Sauveur dit : "Enquerrez-vous des Ecritures, c'est elles qui portent témoignage de moi." L'Eglise romaine ayant laissé l'Ecriture sainte, pour suivre les imaginations des hommes, nos pères n'ayant pas pu rester dans leur communion sans risquer leur salut, ils ont été obligés de quitter leur patrie, leurs parents et leurs biens, pour aller chercher dans les païs étrangers les eaux saillantes en vie éternelle, puisque celles de leur patrie étoient bourbeuses et empoisonnées, ce qui leur auroit donné la mort éternelle.
Le roi et son clergé ayant résolu de nous ôter nos privilèges, et d'arracher le fondement de notre religion protestante de tout son royaume, pour y réussir ils y mirent plusieurs fois la main, en nous ôtant aujourd'hui un privilège, et demain un autre. L'on régla le nombre des personnes pour accompagner les enterrements, on défendit aux ministres de porter la robe qu'en chaire, les Chambres de justice leur furent ôtées. On défendit aux sages-femmes protestantes de faire leur fonction sous peine d'une prison perpétuelle, et l'on ordonna que les sages-femmes papistes seroient prises à leurs places. Je naquis dans ce triste temps. Ma chère mère étant prise de douleurs, mon cher père fut incognito chercher la sage-femme protestante. Lui ayant donné un grand manteau et un chapeau, elle se glissa dans la maison, étant toute effrayée d'être découverte.
Elle pria ma chère mère, quoiqu'elle fût dans un grand travail, de se mettre à la fenêtre, pour appeler la servante qu'on avoit exprès fait sortir à la rue, afin que les voisins ne s'aperçussent point de son état. Ma chère mère étant délivrée la sage-femme s'en alla, déguisée comme elle étoit venue. La servante usa du même tour que les sages-femmes d'Egypte du temps de Pharaon elle fut dire que sa maitresse avait accouché toute seule. Comme le grand orage de la persécution par les dragons avait déjà fondu sur plusieurs Eglises de la province et abattu les temples, l'on s'attendoit au même sort pour l'Eglise de Nîmes, c'est pourquoi je fus baptisée le lendemain de ma naissance."

sep Marie MOLINIER est la fille d'Antoine, négociant de Cournonterral et d'Elisabeth BAUDOUIN (mariés le 20 février 1677 à dans le temple protestant de Nîmes).
Le couple eu :
- un fils, mort jeune,
- Jacques baptisé le 16/02/1679 (dans le temple protestant de Nîmes) qui fut naturalisé en Angleterre le 22 novembre 1699. Il sera directeur de l'hôpital français en 1721 et habitait la Moulinière (ou Maison Molinier) à "Putney Gutter",
- Pierre, né vers 1682,
- Marie baptisée le 30/09/1684 (dans le temple protestant de Nîmes),
- Charles né à Groningue, vers 1688, naturalisé anglais en 1707.

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Exil du père de Marie

"Mon cher père, ayant appris que les dragons étoient arrivés à deux lieues de Nîmes et que le lendemain au soir ils devoient entrer pour faire changer de religion et abattre l'Eglise prit d'abord la résolution de mon oncle Baudouin de sortir de son ingrate patrie et de suivre l'ordre de son divin maitre: "Quand on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre." Il préféra son salut à sa femme, à ses enfants, à son établissement et à son bien. Ce sacrifice qu'il fit fut sans doute agréable à son divin rédempteur, puisqu'il a béni ses enfants dans une terre étrangère. Le jour de son départ, il fit dire à ma mère qu'il étoit obligé de s'en aller à Marseille pour le payement de ses dettes; l'ayant embrassée, il prit mes deux frères sur ses genoux, en les baisant il fut couvert de larmes. Elle lui demanda le sujet de ses pleurs; it lui répondit en soupirant "N'est-ce pas le temps de les répandre?" Comme Abraham, il ne dit rien de son dessein à sa femme; il prit la route pour Genève, où il arriva heureusement. Il écrivit à ma chère mère de suivre son exemple. Elle fut dans une grande joie de savoir son cher mari échappé du naufrage, et en rendit grâces au bon Dieu. Ayant vu toutes les cruautés que les dragons avoient commis dans la ville, elle se mit en devoir de suivre son mari."
sep L'oncle BAUDOUIN dont Marie parle ici est Jacques BAUDOUIN, fils de Jacques, marchand de Nîmes et Madeleine FAYOLLE.

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Exil de la mère et des frères de Marie

"Ce fut le quatrième d'octobre 1685 que les dragons entrèrent dans Nîmes pour faire changer de religion et abattre le temple.
Ma chère mère ayant bien prévu qu'on lui envenrroit de ces convertisseurs de Belzebuth, s'y prépara de son mieux. Deux de ces satellites étant entrés, lui signèrent que si leur hôtesse étoit papiste, ils ne vouloient manger que du pain et du fromage, mais que s'ils étoient chez une protestante, ils vouloient tout fricasser; et, pour bien commencer, voyant un berceau dans lequel j'étois, l'un d'eux dit "je vais mettre cette enfant à la broche." S'étant un peu radouci par un présent qu'on leur fit, ils furent se coucher, et le lendemain ils eurent ordre d'aller tous au temple où ils commirent toutes sortes d'infamies et après l'abattirent.
dragonnades Ma chère mère cependant travailloit à faire lever ses dettes, avec l'aide de ses amis. Tout étant prêt, elle arrêta une litière pour aller à Lyon avec mes deux frères. Pour moi, il n'etoit pas possible de me prendre, étant trop jeune. Ma chère tante de B… qui avoit élevé ma chère mère fut celle à qui ma mère me donna pour tenir sa place. A trois heures du matin on me leva du lit pour recevoir de ma chère mère sa bénédiction: en la recevant je pleurai si amèrement qu'il me sembloit que je sentois cette séparation. Ma mère étant partie toute seule pour prendre la litière, ayant envoyé mes deux frères un peu devant, elle trouva dans son chemin un homme qui crioit de l'eau de vie, qui lui dit "l'ange qui conduisit Tobie vous conduise".
Ma mère étant arrivée à Lyon, mon père lui écrivit de Genève qu'il lui envoyoit un homme et une femme pour prendre mes frères, qu'elle pouvoit les leur confier avec toute sûreté, étant très honnêtes gens, auxquels le curé de leur paroisse donnoit un certificat que les enfants qu'ils menoient étoient leurs enfants. Sans doute le bon curé n'étoit pas content de ses revenus, et ce petit commerce le mettoit à son aise. Ces deux bonnes gens étoient frère et sœur et avoient sorti un grand nombre d'enfants de France et les mener à Genève avec beaucoup de bonheur sans être découverts.
Arrivés à Lyon ils vinrent trouver ma mère et lui dirent qu'il falloit qu'elle achetât un âne pour porter les enfants, et deux paniers pour les mettre dedans et des vieux habits sur eux, afin qu'ils passassent pour leurs enfants. Les ayant, équipés suivant leurs désirs, il fallut que ma mère fit entendre raison à ses enfants pour les résoudre d'aller avec ces étrangers; l'ayant fait, l'on les mit chacun dans son panier sur cette bourrique. Concevez l'affliction d'une mère d'être obligée de risquer ses enfants à des inconnus. Ils arrivèrent heureusement à Genève auprès de mon père. Quelques temps après ma mère trouva un guide pour elle, qui étoit Suisse: elle sortit de Lyon avec plusieurs dames et messieurs. Après bien de fatigues, elle arriva heureusement auprès mon père et ses enfants."

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Les deux frères partis en exil avec leur mère sont Jacques et Pierre MOLINIER.

Le fait que la mère de Marie ait croisé un homme qui lui souhaite bonne chance, montre bien que toute la population catholique n'était pas contre les protestants. Sans des complicités volontaires ou non, bon nombre de protestants n'auraient pas pu fuir la France.

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La vie protestante à Cournonterral

carte

"Pour moi j'étois auprès de ma chère tante, qui avoit pour moi la tendresse d'une mère; elle m'élevoit, autant que mon âge le permettoit, dans la crainte du Seigneur, avec une grande horreur pour l'Eglise romaine. Ces impressions me furent un grand préservatif pour l'avenir. Je perdis cette tante à l'âge de dix ans; son regret fut de me laisser si jeune: elle remplit en tout et partout la place de mère, elle me fit son héritière du bien qu'elle avoit. Mes cousines Fayolle me prirent chez elles et m'auroient gardée, si une tante, sœur de mon père, qui demeuroit à Cournon, n'étoit venue, de la part de ma grand'mère, me chercher.
Ce fut là que j'eus tout le secours nécessaire pour me fortifier contre le papisme. Il se faisoient souvent des assemblées aux environs de ce village, ma tante et mon oncle Molinier n'en manquoient que rarement, j'avoie prié instamment ma tante de m'amener avec elle à une assemblée, ce qu'elle fit. Je desirois avec ardeur de voir un ministre. C'étoit à quelques milles de Cournon, dans un bois, que l'assemblée se fit. Nous partîmes, entre neuf et dix heures du soir en hiver et marchâmes à travers des bruyères, et, de temps en temps, nous trouvâmes des sentinelles qui nous montraient le chemin. Enfin nous arrivâmes au pied d'une montagne qui nous offrit une ouverture comme celle d'un four. L'on nous fit entrer dans cette grotte où, à ma grande surprise, je vis deux grandes chambres qui alloient d'une à l'autre et toutes remplies de monde. Dans la première se rendit le ministre, habillé en officier, ce qui me surprit. Il prit pour texte "Sortez de Babylone, mon peuple, de peur que vous ne participiez à ses plaies." Après le sermon, ceux qui vouloient communier entrèrent dans l'autre chambre où la table étoit dressée."

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L'oncle et la tante dont il est question seraient Antoine BASTIDE et sa femme (une fille MOLINIER) mais je n'ai rien trouvé dans les archives le confirmant.

La grotte dont parle Marie est la grotte de Bioge, située à 2,3km du bourg de Cournonterral (au nord - nord-ouest). Le 23 juin 1696, BAVILLE ordonna aux maire et consuls de Cournonterral d'en faire combler l'entrée avec de grosses pierres. En 1719, le conseil de la communauté, ayant appris que la grotte avait été ouverte "depuis quelque temps", et jugeant qu'on pourrait y faire des assemblées, ordonna de la fermer une seconde fois. En 1887, enfin, le maire de Cournonterral, pour faciliter l'accès de la grotte aux visiteurs, fit briser les rochers qui en obstruaient l'entrée (d'après Charles BOST, dans les Prédicants Protestants, volume 2).

Il eu aussi des assemblées de protestants au lieu-dit le Grand Pioch, à 4,3 km du bourg de Cournonterral. La plus élevée des grottes qu'on y trouve s'appelle encore en patois "Lou Temple" (d'après Charles BOST, dans les Prédicants Protestants, volume 2).

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Le guet-apens

Nicolas de Lamoignon de Basville

"Il étoit environ quatre années que j'etois à Cournon quand, un matin, l'on vint avertir ma tante qu'il étoit arrivé un officier avec des gardes de la part de l'intendant de Basville, pour prendre quelques filles et les emmener au couvent. Elle en fut toute alarmée et me fit cacher chez une de ses amies. Cet officier qui s'appeloit Burnier vint chez elle pour me demander, et lui dit que Monsieur de Basville souhaitoit de me voir et qu'elle me raméneroit avec elle. Ce fut un piège qu'il lui tendit qu'elle n'évita pas comme elle auroit pu. Elle vint me chercher dans mon asile, comptant sur sa parole, mais elle avoit oublié que ces cruels ne tiennent pas leurs promesses avec les hérétiques comme ils nous appellent; ainsi je fus livrée à ces vautours.
Nous partîmes pour Montpellier sur le midi avec ma tante et deux jeunes filles qu'on avoit prises aussi. En arrivant à la ville, l'officier nous mena chez lui et nous dit qu'il alloit chez M. de Basville pour savoir s'il étoit de loisir de nous voir. Il fit semblant de sortir, c'étoit encore une lure de sa façon, puisqu'il avoit l'ordre dans sa poche pour nous mettre au couvent. Il vint quelque temps après nous dire qu'il venoit de chez M. de Basville, qu'il étoit faché de nous apprendre que M. l'Intendant lui avoit donné un ordre pour me mettre à l'Ecole royalle avec une autre fille appelée Roquette, et l'autre à la Providence.
A cet arrêt nous eûmes beau pleurer et gémir, et ma tante lui reprocher sa perfidie. Il fallut marcher dans le moment. Il nous amena toutes deux à l'Ecole royalle qui étoit une maison établie pour mettre les filles protestantes pour les convertir, et on entretenoit aussi par charité six filles papistes qui travailloient en linge pour les étrangers et qui servoient tour à tour de servantes. La supérieure était une parisienne nommée Sœur de la Mer. En entrant elle nous fit un bon accueil et la Sœur Gervaise de même et nous dirent d'essuyer nos larmes, qu'elles auroient bien soin de nous.
Dans cette maison il y avoit deux tables pour les pensionnaires, l'une s'appeloit la table des pauvres et l'autre celles des riches; où on mangeoit avec les Sœurs. Je leur dit que je voulois être mise à celle des pauvres, mais elles ne voulurent jamais me l'accorder.
L'on défendit à ma tante et à tous mes parents de venir me voir. Cela m'affligea beaucoup, mais il falloit se soumettre sans répliquer. Aussi mes parents furent-il bien observés tout le temps que j'y restois. Ils venoient chez un potier d'étain qui demeuroit vis-à-vis de l'Ecole ou chez une amie qui étoit à côté (tous les deux protestants), pour me voir par la fenêtre.
Quelques jours après ma détention je vis arriver un officier qui emmenoit quatre jeunes filles pour le même cas que moi. Cette première vue m'affligea, mais, dans la suite j'y trouvoi de grandes consolations; nous étions toujours à nous affermir l'une l'autre, à ne point faire attention à toutes les impressions que l'on vouloit nous donner sur la religion. Les Sœurs s'en aperçurent et donnèrent ordre qu'une fille papiste seroit toujours avec nous. La Sœur de la Mer faisoit de temps en temps l'office de missionnaire.
Elle vit que ses promesses et ses menaces ne gagnoient rien. Toutes nos réponses étoient le silence. Il faut que je l'avoue, que notre fermeté ne venoit pas par connaissance de cause, mais d'un préjugé de l'enfance et d'une grande horreur que nous avions du nom d'idolâtres dont on nous avoit dit qu'ils étoient. Le soir l'on faisoit la prière en latin, j'étois obligée d'y assister. Je n'y entendois rien, ni elles non plus. Je me mettois dans un coin et, levant mon cœur à mon Dieu, je le priois de m'ôter de cette Babylone et de me mettre dans sa bergerie. L'événement me fit voir que le Seigneur avoit exaucé ma requête dans sa miséricorde. Je sentis de plus en plus son divin secours et un éloignement pour leur religion. Comme j'ai déjà dit, la Sœur de la Mer, voyant que ses raisons n'avoient fait aucune impression, elle s'avisa de nous faire voir un ministre nomme Cabrol, qui avoit apostasié; après qu'il nous eut fait un long discours, il crut, à la mine que nous lui faisions que son sermon ne lui plaisoit pas. Il prit pour lors un ton de colère et nous dit "Petites opiniâtres, c'est bien à vous de résister, moi qui ai prêché l'erreur si longtemps, dois bien mieux la connaitre, mais Dieu m'en fait la grâce de m'en tirer." Après cette harangue, il se retira. L'en nous ordonna de l'accompagner; nous avions grande envie de le jeter par les degrés. Il affecta pendant quelque temps de venir se mettre devant nous à la messe, où il faisoit mille singeries.
Un jour de fête de quelque saint, la sœur nous dit qu'il falloit jeûner, que le saint pouvoit faire quelques miracles pour nous convertir. Nous résolûmes de n'en rien faire, crainte de commettre un péché, nous volâmes du pain. La Sœur Gervaise ayant été prise d'une violente fièvre, elle fut en si grand danger qu'elle se fit porter le pain de la messe. La Sœur de la Mer fut fort affligée et s'imagina que si les filles protestantes alloient le chercher, il auroit plus de vertu pour la guérison, ainsi l'on nous députa. Quand nous fûmes à l'Eglise, le clerc nous donna un cierge allumé je ne l'eus pas plutôt à la main qu'il me prit une envie de rire. Pour me cacher, je tombai sur un des bancs et le cierge s'éteignit. Ce fut un bonheur pour moi que le prêtre était à s'habiller dans la sacristie; s'il m'avoit vue, il m'auroit fait faire pénitence dans quelque prison. Le prêtre étant sorti avec l'hostie, nous le suivîmes deux à deux jusques à la maison.
Nous n'avions pas la permission d'aller seules dans nos chambres, par la crainte qu'elles avoient que nous ne fissions nos prières. Un jour je trouvai le nouveau Testament de Louvain qu'on avait imprimé pour satisfaire les convertis, qu'ils ont traduits à leur manière. En l'ouvrant, je trouvai le passage de Saint Paul où il dit: "Mangez de tout ce qui se vend à la boucherie, sans vous enquérir pour la conscience." Je le portai à la Sœur et lui dit "Pourquoi faire maigre, puisque cela ne fait rien pour la conscience, viande ou poisson." Elle fut si embarrassée à me répondre que le livre fut pris et caché, et je ne le vis plus."

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L'Ecole Royale de Montpellier était probablement tenue par "les dames religieuses établies par l'ordre de l'intendant chez M. Nissolle, chirurgien derrière Notre-Dame des Tables"(d'après le Bulletin la Société de l'histoire du protestantisme français, 1914-1915). La supérieure était la soeur Delamare.

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L'évasion

"J'étois dans cette maison depuis quelques mois, quand je vis entrer une demoiselle papiste un peu parente de ma tante; ses habits annonçaient sa religion à nos Sœurs, étant habillée à peu près comme elles. J'eus la permission de la recevoir tête à tête; l'on comptait qu'elle fit le prédicateur pour me faire changer de sentiment. Elles se trompaient. Ce fut un instrument dont Dieu se servit pour me mettre dans l'esprit de me sauver de cette maison, comme on le verra dans la suite. Elle me donna des nouvelles de mes parents et m'assura qu'ils mettoient tout en œuvre pour me faire sortir, qu'ils avaient fait plusieurs présents avec cette intention, mais que je ne devois pas me flatter que cela pût réussir. Qu'étant orpheline, en s'attachait plus à ses enfants là qu'aux autres par l'espérance que s'ils venoient à me gagner, n'ayant ni père, ni mère, ils feroient une œuvre méritoire, qu'ainsi il falloit tacher de me sauver et de prendre bien mon temps pour cela. Je la remerciai de son avis et lui dis que je faisois mon possible pour en profiter. Elle faisait son séjour à Cournon, ainsi elle mettoit une assez grande intervalle entre ses visites.
Il arriva peu de temps après un exemple qui me détermina tout à fait de suivre son conseil. L'on amena deux filles d'une ville nommée Saint Hippolite; elles arrivèrent le soir, le lendemain on les obligea d'aller à la messe. Elles y furent, mais quand on voulut sortir, elles ne se trouvèrent point. Les sœurs firent grand bruit de cette évasion, disant qu'on sauroit bien les trouver, et cela pour nous intimider à ne pas les imiter.
Dans le temps que mon projet rouloit dans ma tête, cette fille nommée Roquette (prise en même temps que moi) fut saisie d'un violent mal de gorge; comme elle étoit pauvre, les sœurs ne firent point grande difficulté de la renvoyer chez son père pour se guérir, à condition pourtant qu'elle reviendroit quand elle seroit bien. Elle se garda bien de le faire et s'en alla à Nîmes pour se cacher; le bon Dieu la garda là pour être ma compagne en sortant de France. Une amie que j'avois qui demeuroit vis à vis du couvent, craignant qu'on ne la mit dedans, venoit souvent à la messe avec nous. Ce fut là que je lui découvris mon dessin.
L'on nous avoit donné un livre à chacune; ce livre, au lieu de le lire, me servoit à lui parler des mesures qu'il me falloit prendre pour m'évader. Elle me promit ses bonnes offices et une retraite chez son oncle. Au retour de l'Eglise je mis la main à l'œuvre. Ma blanchisseuse qui étoit protestante, venant chercher mon linge, je mis adroitement dans le paquet tous mes habits sans que personne s'en aperçut, pour les porter chez ma tante.
Ce fut le premier de novembre, jour de la Toussaint, que je pris la résolution de m'échapper, parce que, ce jour-là il devoit y avoir un sermon le soir. Je pensois qu'en retournant de l'église, à la faveur de l'obscurité, je pourrois m'évader. Mais le Seigneur qui conduisoit tous mes pas ne le permit pas. Le sermon étant fini, je crus que les Sœurs nous laisseroient passer dans la foule comme elles faisoient le matin, mais la fuite de ces demoiselles (de Sainte-Hyppolite) les avoient rendues plus exactes; aussi elles nous rassemblèrent toutes comme un troupeau de moutons dans une chapelle de l'Eglise jusque tout le monde étoit sorti alors l'une se mit à la tête et l'autre à la queue; nous marchâmes deux à deux comme les soldats montent la garde.
Voyant mon projet manqué, je fus dans une affliction inexprimable. Je rentrais dans la maison affligée jusqu'à l'âme. Il faut ici que je dise, pour bien comprendre ce qui suit, comment je pouvois sortir de cette maison, que les sœurs n'étoient que logeuses, et n'avoient que le premier étage qui consistoit en quatre grandes chambres, une pour l'école, les autres pour les sœurs avec quelques pensionnaires papistes et deux protestantes. Tout cet appartement étoit fermé par une porte. Au second étage il y avoit une grande chambre où il y avoit six lits pour coucher deux à deux. J'étais de ce nombre-là. Le jour nous étions renfermées dans la première chambre du premier étage, et nous ne montâmes que pour nous coucher. La porte de la rue étoit ouverte tous les jours et ne se fermoit que quand la maîtresse du logis le trouvoit à propos.
En arrivant de l'église j'étois entrée dans le premier appartement, il étoit presque nuit et pleuvoit un peu. J'étois dans un coin à me lamenter dans mon cœur lorsque le puissant de Jacob vint à mon secours. C'est à lui seul que je dois ma délivrance et non à aucun secours humain; son doigt y est marqué dans les circonstances. J'étois dans une grande amertume, sans imaginer aucun moyen pour m'en tirer, quand il me vint dans l'esprit d'aller me déshabiller, ne me rappelant pas que je n'avois point de robe à mettre, les ayant envoyées, comme j'ai dit, à ma tante.
Je fus machinalement demander permission à la Sœur la Mer de me laisser monter à ma chambre; elle me l'accorda et me donna deux filles papistes pour m'accompagner, ne voulant pas me laisser seule. Ces filles couchoient dans la même chambre. Etant entrée, je m'assis au pied du lit près de la porte, fort rêveuse. Ces filles commencèrent de se déshabiller et me demandèrent pourquoi je ne faisois pas de même. Dans le moment le bon Dieu me mit dans l'esprit de descendre et comme il arriva à Saint Pierre, l'ange me prit par la main. Je me levai sans savoir ce que je faisois, les filles étant moitié déshabillées ne purent me suivre.
Etant descendue je me plantai devant cette porte qui renfermoit toute la société, ne sachant ce que je devois faire, ou de frapper ou de descendre les autres degrés qui menoient à la rue. Je levai mon cœur avec ardeur à mon Dieu en récitant le psaume 142 en mémoire de mon cher grand-père Baudouin qui avoit été mis à l'Inquisition (je donnerai son histoire dans la suite). Me rappelant que j'étois dans le même cas, je me servois de mêmes Moyens, en priant celui qui peut délivrer de la gueule des lions, disant, "tire-moi de cette prison, afin que je chante ton nom"!
Soudain je me sentis un si grand courage que je descendis le degré et me fus cacher derrière la porte on il y avoit une petite grille. J'ai oublié de dire que le matin, à la messe j'avois dit à mon amie que j'avois dessein de m'échapper le soir en sortant de l'église; elle me promit de rester à la maison pour me donner tout le secours dont j'avois besoin. Elle me tint parole, car, en regardant en travers la grille, je la vis à cote de sa porte; ne voyant personne qu'elle je sortis et me mis à courir de toute ma force chez le potier.
Il étoit seul dans sa boutique quand j'entrai; je le surpris si fort que, sans rien me dire, il courut à sa femme qui étoit dans une chambre à côté. " Voilà cette jeune demoiselle, dit-il, qui s'est échappée du couvent." Elle vint tout effrayée et me dit "Hélas, que puis-je faire pour vous." Je la tirai d'embarras en lui disant d'appeler mon amie, ce qu'elle fit. Mon amie étant venue, elle vouloit m'amener chez son oncle. Comme nous étions prêtes à partir une femme entra, à qui l'on raconta l'affaire. Ce fut comme une Achitophel pour moi.
Elle dit à mon amie qu'il me falloit changer de robe, crainte que je ne fasse reconnue dans le chemin, qu'elle devoit s'en aller chez elle et y rester, que l'on ne manqueroit point, d'abord que l'on s'appercevroit de ma fuite, de venir chercher chez elle puisqu'on savoit qu'elle me connaissoit. (Cela arriva comme elle avoit prédit.) Cette femme vouloit être mon guide pour m'amener chez l'oncle de mon amie, qui demeuroit à un des faubourgs de Montpellier. Etant arrivée chez cet honnête homme, il me reçut d'une manière si évangélique qu'il fit mettre tous ses enfants à genoux et fit la prière pour rendre grâce à Dieu de ma délivrance. Cette femme s'en alla et je ne l'ai vue ni connue depuis."

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Le retour à Cournonterral

"Trois jours après cet honnête homme avec son frère, père de mon amie, furent à Cournon eux-mêmes avertir ma tante de mon évasion, n'ayant osé confier le secret à personne. Quelques jours après mes parents envoyèrent un ami à cheval pour me prendre et me mener à Coumon. Nous partîmes à dix heures du soir, crainte d'être reconnus, nous arrivâmes près de minuit à Cournon, chez la demoiselle papiste dont j'ai parlé qui vouloit bien me recevoir chez elle pour que je fusse en sureté. Sa maison etoit la première en entrant dans le village, personne ne pouvoit me voir entrer. Je trouvai tous mes parents assemblés; la joie fut si grande de part et d'autre de me voir en liberté, que les larmes en firent la fête de cette première vue. Mes parents venoient me voir tous les soirs sur les dix heures pour ne rien risquer.
Un matin, la demoiselle étant allée à la messe, me trouvant seule, je me fus mettre sur un balcon qui faisoit face en pleine campagne. Je n'y avoie pas été une minute lorsque j'entendis une voix qui me souhaitait le bonjour. Effrayée d'où venoit cette voix, je rentrai avec précipitation, je trouvai sur mes pas la demoiselle qui revenoit de la messe. Je lui racontai ce qui m'etoit arrivé, elle voulut voir qui c'étoit, elle vit un maçon qui raccomodoit une cheminée. Toute troublée de cette mauvaise rencontre, elle dit : "Je ne puis plus vous garder, le maçon est papiste, d'abord qu'il sçaura que vous êtes échappée du couvent, il ne manquera pas de m'aller dénoncer".
Cela m'affligea fort mais le Seigneur, dans sa grande miséricorde travailloit toujours à me tirer de cette Egypte, lorsque mes pensées étoient toutes tournées pour y rester. Mes parents avoient les mêmes idées qu'après que j'aurois été cachée quelque temps l'orage seroit passé et que je pourrois me reproduire. Mais le bon Dieu ne permit point cette imprudence qui m'auroit coûté cher.
L'on m'auroit reprise et si bien gardée que je n'aurois pu jamais réchapper, comme la suite le fera voir.

La demoiselle envoya chercher mes parents et leur raconta ma triste aventure. Ils en furent très touchés; ne sachans où me mettre, il fut décidé que je partirois pour Nîmes où j'avois des cousines. L'on pria le même ami qui m'étoit venu chercher à Montpellier, de m'accompagner à Nismes, ce que il fit. J'avois, outre mes cousines, un ami de la famille nommé Monsr Bosquet, riche négociant, qui avoit ordre de mon oncle le brigadier Baudouin de me fournir tout ce que j'avois besoin."

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On voit encore une fois que tous les catholiques (surnommés papistes) n'étaient pas contre les protestants.

Le brigadier BAUDOUIN dont il est question est Pierre BAUDOUIN, son oncle qui, bien que protestant n'a pas voulu s'exiler.

L'ami qui se charge de faire faire les voyages à Marie semble être Pierre AUBRESPY, de Cournonterral, qui a été enfermé dans la citadelle de Montpellier en 1689 et qui en sortit sous le cautionnement de sa mère Suzanne CHEVALIER.

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La fuite

"Etant arrivée à Nîmes, je fus descendre chez mes cousines qui avoient déjà appris ma désertion. Je remerciai mon conducteur et lui dis un dernier adieu. Mes cousines me reçurent, non sans une grande frayeur, craignant que je ne fusse découverte chez elles; de mon côté, l'idée d'être reprise me donna des agitations si grandes que souvent j'ai été sur le point de me jetter d'une fenêtre qui alloit sur les tuiles où je me serois estropiée. Mes cousines, mêlant leurs alarmes avec les miennes, ne voulurent me risquer chez elles et me proposèrent d'aller trouver une bonne amie de ma chère mère pour lui demander si elle vouloit bien me recevoir chez elle. Cette dame nous reçut avec beaucoup d'amitié, mais quand on lui eut raconté mon histoire, elle s'excusa de me prendre chez elle, disant qu'elle avoit une jeune fille au couvent et qu'on lui menaçoit de lui prendre son aînée. Son mari qui étoit dans une chambre à coté, qui avoit entendu tous nos discours, sortit tout à coup et dit à sa femme "Vous avez oublié que c'est l'enfant de notre chère amie, je veux tout risquer pour sa Surêté." Nous le remerciâmes et je restai là.
Pour l'ami Monsr Bosquet, d'abord qu'il sçeut mon arrivée à Nîmes, il fit sçavoir qu'il étoit à propos de ne pas me voir, étant connu pour un ami, l'on pourroit me chercher chez lui; il fit bien de prendre cette mesure, sans cette précaution il n'auroit pas été quitte à si bon marché qu'il le fut. Il conclut avec mes cousines qu'il falloit chercher un guide pour me sortir de France, sans quoi je serois reprise infailliblement.
Elles connaissoient un marchand protestant qui avait un muletier qui faisoit ce commerce. Il avoit sorti sa mère et les filles du marquis de Rochegude très heureusement. Mes cousines lui dirent mon cas. Il leur dit qu'en huit jours il seroit à Nîmes et qu'il me recommanderoit particulièrement, ce qu'il fit. Etant arrivés l'on fit marché avec lui à cent écus; il devoit me trouver un cheval et me déffraier de tout. Je lui demandai s'il n'avoit pas d'autre personne pour me faire compagnie dans le voyage. Il dit qu'on lui avoit parlé d'une fille, mais qu'elle n'avoit pas la somme qu'il demandoit, qu'elle n'avoit que cent francs et qu'il vouloit cinquante écus. Là-dessus Monsr Bosquet dit qu'il falloit que ce fut moi qui achève de faire la somme plutôt que de me laisser aller toute seule, ainsi on lui promit les cinquante écus.

Le jour de mon départ étant arrivé, mes cousines vinrent me prendre pour aller trouver le guide qui avoit donné rendez-vous dans le chemin d'Uzès. Je pris congé de la dame du logis et de sa fille en leur remerciant de toutes leurs bontés. Nous partîmes sur le midi, comme si nous allions à la promenade nous allâmes à une mille de la ville, à une métairie de Meran qui étoit près du chemin d'où nous pouvions voir passer notre guide. L'ayant aperçu j'embrassai mes cousines, et je sortis toute seule de la maison pour que l'on ne soupçonne rien, et je fus trouver mon guide.
Quelle surprise pour moi de voir avec lui cette fille Roquette qui avait été menée au couvent en même temps que moi et qui l'avoit quittée comme j'ai dit. J'eus une grande joie de la voir et fus toute satisfaite de lui procurer sa sortie de France. Comme l'on m'aidait à monter à cheval, je vis sortir tout d'un coup d'un fossé deux messieurs qui vinrent m'embrasser; l'un étoit un ami de mon père, l'autre un parent de ma mère. Ils recommandèrent fort au guide d'avoir soin de moi. Il leur promit et leur tient bien parole, car c'étoit un honnête homme qui ne vouloit nous confier qu'à ses yeux. Il demandoit à toutes les hôtelleries une chambre à deux lits pour être auprès de nous.
A Uzès nous logeâmes chez un protestant. Notre guide étoit fort connu sur la route, faisant ce voyage plusieurs fois l'année, l'on avait beaucoup d'égards pour lui. Il avoit plusieurs mulets chargés de marchandises et des valets pour les conduire; lui etoit monté à cheval, moi sur un petit bidet et la Roquette sur un mulet. Quand nous approchions des endroits où il y avoit des gardes pour arrêter les personnes qui sortoient du royaume, il prenait la Roquette derrière lui et quittoit le grand chemin, et par des sentiers détournés, nous rejoignons, quand le mauvais pas était passé, les mulets chargés qui suivoient toujours la grande route.
Parcours de Marie Molinier Au Pont St Esprit il nous fit passer le Rhône en bateau à deux portées de mousquet du port. Arrivés à Montélimar, au signe du Mouton, l'hôte entra dans ma chambre pour me demander permission qu'un officier soupa avec nous. Je lui dis qu'il falloit la demander maître André notre conducteur. L'ayant obtenue, je vis entrer cet officier âgé environ vingt-cinq ans. Après les premiers compliments il me dit qu'il étoit protestant et qu'aiant appris l'arrivée de maitre André avec deux jeunes filles, la curiosité l'avoit porté à nous voir et nous offrir de nous recommander à notre guide, il me donna des avis pour me bien conduire et me fit promettre de lui écrire à mon arrivée à Genève et lui faire sçavoir si notre guide avoit bien agi à notre égard. Il me donna son adresse et je lui écrivis de Genève que nous avions tout lieu d'être contentes des soins et des manières de maitre André.
Arrivés dans un village frontière de la Savoie, il nous mit dans une maison et nous dit de nous tenir bien cachées, que nous devions dans la nuit passer dans les terres de Savoie. Nous fumes tout le jour en prière pour demander à Dieu sa protection. Sur les dix heures du soir je vis entrer notre guide avec un autre homme. Ils montèrent à cheval et nous prirent en croupe, nous marchâmes presque toute la nuit; étant arrivés au bord d'une rivière, nous la gréâmes, étant de l'autre côté, le guide me dit "Je vous félicite vous voilà en sûreté dans la Savoie"! Pour lors le roi de Sardaigne donnoit passage aux fugitifs sur ses terres.
Nous allâmes à Chambéry et de là à Genève. Je descendis auprès des Trois Rois, il me laissa dans une boutique dont la maitresse étoit d'Uzès, pour aller mettre ses chevaux à l'écurie; dans cet intervalle je demandai à la marchande si je ne pouvois pas voir une église? Elle me mena à St-Gervais. Je me sentis une si grande joie qu'il m'est impossible de l'exprimer, de me voir dans la maison du Seigneur. Le zèle que j'avois alors me fait honte aujourd'hui pour mon refroidissement. Maitre André vint me chercher et me mena chez ma cousine Fayolles, et la Roquette alla chez son frère."
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Les 100 écus demandés par le passeur correspondent selon la base de calcul expliquée dans la page du compoix à 12 000 € en 2017.

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La vengeance de Basville

"Je ne fus pas un mois à Genève que l'intendant Basville fut averti de ma sortie de France. Il en fut si piqué qu'il s'en prit à tous ceux qu'il soupçonna y avoir pris part. Il envoya un officier avec les archers prendre mon oncle et ma tante. Il condamna le mari à être mis dans la citadelle de Montpellier dans un cachot où il resta quatre mois, et ma tante exilée à Narbonne où elle resta un an. Il envoya ce même cortège à Monsr Bosquet à Nîmes. L'on le prit au saut du lit, moitié habillé et l'on amena à Montpellier comme un homme qu'on alloit pendre. On le fit jurer s'il m'avoit vue; ayant juré que non et s'étant bien défendu, il en fut quitte pour la peur, mais non pas de bourse. On lui ordonna de donner à chacun des gardes un louis d'or, ce qu'il fit et se retourna très content d'avoir échappé à la prison qu'il craignoit fort. Mon oncle le brigadier lui paya tous ses frais.
Vous pouvez juger, mes chers enfants, par toutes ces violences, que s'ils avoient pu me reprendre, que j'aurois été mise dans un endroit d'où je n'aurois jamais pu m'échapper. Je dois ma délivrance à mon divin Sauveur qui, comme le bon berger, m'a porté sur ses épaules. Dans le païs de Iiberté je puis dire comme David : "Hélas j'étois la brebis égarée, tu me cherche, Seigneur, tu pris plaisir, fais que ta loi dans mon cœur soit gravée!"

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L'oncle de Marie, Antoine BASTIDE fut effectivement enfermé dans la citadelle de Monptellier. Pour en sortir, il fallut qu'une personne se porte caution pour lui. C'est ce que fit Philippe COSTE, monnayeur de Montpellier, le 2 février 1700.

Paul BOUSQUET, marchand drapier à Nîmes a été interrogé par BAVILLE le 13 janvier 1700. Il n'avais que 22 ans mais se défendit suffisament bien pour ne pas être inquiété.

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La rencontre avec sa mère

"Je partis de Genève à la fin de mai pour l'Angleterre avec bonne compagnie, messieurs et dames, par la voye d'Allemagne. En sortant de Genève je m'embarquai sur le lac où je fus toute incommodée comme sur une mer. Arrivée à Lausanne j'y restai huit jours pour attendre des voitures pour nous mener à Basle. Depuis Lausanne jusqu'à Basle nous trouvâmes des mauvais gîtes, couchés sur de la paille, en secouant les oreillers on étoit habillées.
auberge des Trois RoisArrivés à Basle nous fumes logés aux Trois Rois, bonne auberge, où nous restâmes huit jours pour attendre qu'on nous prépara un bateau couvert de planches assez grandes pour douze personnes que nous étions. Etant prêts nous embarquâmes pour descendre le Rhin, deux bons Suisses des cantons allemands nous conduisoient. Le matin on faisoit ses provisions pour tout le jour et le soir nous débarquions près de quelque ville ou village pour y coucher et faire des provisions pour le lendemain.
Parcours de Marie Molinier sur le Rhin Nous passâmes depuis Basle jusque à Vezel trois semaines et de là à Nimègue nous primes un chariot jusque à Utrecht. Etant à Utrecht l'on nous embarqua sur le canal où nous passâmes toute la nuit. Le matin nous arrivâmes à Amsterdam. Je fus chez le frère d'une demoiselle qui avoit fait le voyage avec moi et qui vouloit bien m'accompagner chez ma cousine Régis. En chemin nous trouvâmes un monsieur et une dame qui saluèrent cet officier avec qui j'etois. Etant à la porte de ma cousine, nous trouvâmes la servante qui me demanda si j'étois la fille de Madame Moulinier. Je lui dis que oui, ma mère qui étoit dans l'entrée, ayant entendu notre discours, courut pour m'embrasser et me dit "Ma fille ! Je suis votre mère. Hélas ! je vous ai vue de loin et m'étant arrêtée pour vous regarder, j'ai dit au monsieur qui étoit avec moi, cette jeune demoiselle a bien l'air francois !"
Je fus bien surprise de trouver ma mère en Hollande, la croyant en Angleterre. Elle y étoit venue pour voir un frère établi à Amsterdam, qui mourut d'une consomption, trois semaines après mon arrivée. Remarquez, mes chers enfants, ce que cause la persécution. Ma mère ne connoit pas son enfant, l'enfant sa mère. Bénissez Dieu de la grâce qu'il vous a fait, de naitre dans un païs de liberté, où vous avez la bonne pâture de l'âme et la consolation d'être élevez sous l'ombre de votre père et mère, sans crainte d'être enlevés d'auprès d'eux par les ennemis de votre salut.
Nous partîmes d'Amsterdam par Rotterdam avec deux jeunes messieurs qu'on avoit recommandés à ma mère. Huit jours après nous embarquâmes pour l'Angleterre sur un pacquet boat. Je n'eus pas plutôt mis le pied en vaisseau que je me trouvais malade. Je n'avois pas le pied marin. N'ayant point vu la mer ni de près ni de loin, le docteur Régis m'avoit fortement recommandé que si j'étais malade, de bien prendre pour bien rendre. Etant, ma mère et moi sur un lit, très incommodées, ma mère s'élève sur son séant et se saisit d'une bouteille de vin et me dit d'en boire; je n'avois de ma vie bu du vin pur, mais j'etois si malade que sans façon je bus de la bouteille. Avec cette dose je passais la mer endormie.
Arrivés à Grasevend nous primes un bateau, l'on nous aborda près de la douane. Ayant mis pied à terre, les commis de péage nous emportèrent tous nos coffres; les ayant ouverts, dans une minute tout fut pris, les montres de ces messieurs et tout le linge. Nous étions tous les quatre sans langue, à lamenter, lorsque ma mère s'avisa d'aller tout droit à la douane pour tâcher de trouver quelqu'un qui parloit françois. Deux messieurs descendant de cette maison, ma mère leur demanda s'il parloit français. Ils dirent qu'oui. Leur ayant raconté son histoire, ils commandèrent que tout fût rapporté qu'on avoit pris; le tout fut rendu et remis dans les coffres devant ses yeux. Nous prîmes carrosse avec notre bagage et, sur les trois heures nous arrivâmes chez nous où je trouvai deux frères sans les connaitre.
Je me flatte, mes chers enfants, que cette relation ne vous sera pas indifférenre. Mon dessein, en l'écrivant, a été de vous apprendre les grâces que Dieu m'a fait de m'avoir tirée de Babylone comme un tison recouvré du feu. Que mon âme le bénisse toute ma vie pour tous ses bienfaits et vous en fasse à vous-mêmes recueillir les fruits que sa providence s'étoit proposée de vous y faire trouver en me l'accordant. Amen."

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Pour la petite anecdote, l'auberge des Trois Rois existe toujours sous forme d'un hôtel 5 étoiles. Marie donne probablement le premier avis connu de cette auberge qui accueillera des têtes couronnées (comme Elisabeth II d'Angleterre), des compositeurs (comme Bryan Adams), des écrivains (comme Voltaire), des politiciens (comme le Dalaï Lama), des artistes (comme Pablo Picasso) ou des militaires comme (Napoléon Bonaparte).

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Que devient Marie ?

Nicolas de Lamoignon de Basville

Marie se marie à Londres le 26 avril 1714 avec David de MONTOLIEU, seigneur de Saint-Hippolyte-de-Caton et baron du Saint-Empire romain (également émigré, qui meurt en 1761). Marie MOLINIER devient donc baronne.

Ensemble, ils ont 3 enfants :
- Elisabeth, mariée à Gideon MURRAY,
- Suzanne Marie, morte sans descendance en 1743,
- Louis-Charles, baptisé le 26/05/1719, qui donnera descendance qui essaimera en Angleterre, en Suisse et en Allemagne.

Marie MOLINIER meurt en 1777.