La vie à Cournonterral sous l'Ancien Régime

à travers la vie de nos ancêtres

La peste de 1720

peste de Marseille

Le 4 aout 1720, le consulat apprend que "suivant le bruit qui court le mal contagieux est à la ville de Marseille".
Cette expression "mal contagieux" est une façon un peu superstitieuse de parler de la peste.

Mais à l'époque on a déjà compris qu'un certain nombre de précautions peuvent limiter la propagation de la maladie.
Quand la nouvelle que la peste est à Marseille arrive à Cournonterral, la ville de Montpellier a déjà réagi en fermant des portes et en surveillant les entrées.

Les consuls doivent donc, à l'instar de leur voisine, prendre des décisions pour sauvegarder les habitants de Cournonterral.

Délibération contre la peste


Leur première délibération est la suivante :

"il
seroit a propos afin que dans ce lieu on puisse se
conserver la santé et se preserver de ne laisser
entrer aucun mendiant, de faire fermer deux
portes et donner la passade requiert lassemblée
de deliberer de faire garde que personne nentre
dans le lieu
Surquoi a été unanimement déliberé et trouvé
à propos de fermer la porte de la Rejolle et
la porte du jeu de balon et qu'il n'y aura que
la porte de place qui soit ouverte afin qu'on
estre mieux en suretté et que personne
ne puisse entrer sans quil soit aperçu"



En résumé, on laisse seulement la porte de la Place ouverte, le reste de la ville étant protégée par ses remparts.

remparts de Cournonterral

On empêche les mendiants d'entrer dans la ville mais on ne les laisse pas sans ressource. Une quête est organisée et on donnera la passade (l'aumône) aux mendiants.
Des habitants seront désignées pour faire cette passade à tour de rôle. D'ailleurs, c'est le premier consul, Pierre MONTJOL qui s'y collera en premier.

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L'hygiène

Il est intéressant de noter que les consuls prêtent attention à l'hygiène.
Dans une délibération du 5 août, il est précisé que la traverse qui est derrière chez François BRINGUIER est à moitié couverte d'immondices et que cela "pourroit causer des maladies" puisque cette traverse "donne des senteurs qui corrompent l'air". Il est donc ordonné de la faire fermer à "chaux et à sable qui soit solide".
De même il est décidé de nettoyer tout le fumier qui est dans les rues.

Même la viande vendue par le boucher sera scrutée plus que de coutume.

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Le conseil de santé

signatures

Le 22 septembre, un conseil de santé est créé à Cournonterral en exécution des arrêts rendus par la "Souveraine Cour du Parlement de Toulouse".

Les membres de ce conseil ont été tout de suite désignés :
- Me Estienne CAYRE, prêtre et vicaire perpetuel de ce lieu,
- Mr De CAMBOUX, Sr de CASALIS,
- les trois Consuls modernes de ce lieu,
- Mr LAGARDE medecin,
- M CAYLET Me chirurgien,
- Me Abram BASTIDE homme entendu dans la cure des maux contagieux,
- Sr David TREBOULON,
- Sr Samuel BOYER,
- Sr Pierre et François ANGELIN,
- Sr Jean BONNIOL (beau-frère de Michel MALABOUCHE),
- Sr Abraham CASSE,
- Me Jean MICHEL Juge qui présidera.

Ce conseil devra prendre des décisions pour préserver la bonne santé des habitants.
Les membres de ce conseil de santé sont aussi chargés de délivrer les billets de santé.

Ce conseil se réunira deux fois par semaine, les jeudi et les dimanche midi.

Dans ses délibérations le conseil demande par exemple qu'on fasse des "provisions suffisantes de bois, afin qu'en cas de besoin, l'on puisse par les rues et dans les maisons de ce lieu, faire de grands feux et jeter dessus choses odoriférantes, comme genièvre, thym, romarin, genêts et autres choses semblables qui puissent rendre fumée aromatique" et des provisions de grains car d'après les membres du conseil, si la peste arrive, la famine l'accompagne forcement.

Le 15 décembre, les membres du conseil de santé décident "qu'en cas de malheur et d'atteinte de mal contagieux il convient, suivant la prudence, de se servir pour loger les malades à une juste distance de ceux qui ne le seroint pas des maisons de Pierre BONNEL dit Sauvante et de Jean VIALET Vieux".

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Le quotidien des habitants

Les habitants doivent "tenir les maisons et rues nettes et ne souffrir ni fumier dans les rues, ni lapins, ni pigeons, ni cochons dans les maisons."

Les portes de la ville sont ouvertes et sous bonne garde de 4h du matin jusqu'à 8h du soir.
Le reste du temps, les portes sont fermées.
Pour assurer la garde de ces portes, des habitants sont nommés mais tous ne sont pas très exacts dans leurs gardes comme Jean BLAVET Jeune qui, le 5 décembre, ne s'est pas présenté à la porte du jeu de ballon qu'il devait garder. Il est donc décidé que l'habitant qui refuse la garde (sans excuse valable et sans se faire remplacer), payera 100 sols d'amende (ce qui correspond selon la base de calcul expliquée dans la page du compoix à 200 € en 2017).

Il est interdit aux habitants de recevoir chez eux des personnes étrangères à Cournonterral "sans en avoir préalablement donné avis au Conseil de santé".
Aucun étranger n'entrera dans la ville "sans quil soit porteur dun certificat de santé".
incident Cette dernière disposition sera la cause d'un incident le lundi 15 septembre 1721 vers 14h à la porte de la Place. Abraham CASSE alors de garde demande son certificat de santé à un voyageur qu'il ne connait pas. Le voyageur en question est de Mr FARJON, conseiller en la Cour des Aides de Montpellier. Ce dernier, probablement un peu hautain, demande à Mr CASSE qu'il y "estoit et de faire voir lui-même ses commissions". Mr CASSE lui répond qu'il est le commissaire à la garde de la porte. Mais cela ne calme pas le pompeux personnage qui profère alors des menaces et saute sur le garde pour le trainer. Cependant nombre d'habitants viennent à la rescousse du garde et arrivent à le tirer de ce mauvais pas. Probablement vexé, Mr FARJON "donna un grand soufflet sur la joue" de Mr CASSE.
Prévenu, le conseil de santé, estime que le Sr FARJON a agit contre les ordres du Roi, ce qui mérite un châtiment. Il est donc convenu d'aller prévenir le duc, commandant en chef de la Province pour qu'il rende justice. Je n'ai malheureusement pas trouver le dénouement judiciaire de cette affaire.

En 1721, la peste étant en Gévaudan, le roi lui-même interdit aux habitants des provinces voisines (dont fait parti Cournonterral) de faire venir des marchandises de ce pays. En cas de contravention les marchandises seront brûlées et les personnes coupables condamnées à mort.
Le commerce avec les autres provinces n'est pas interdit mais les marchandises devront impérativement être cachetées et plombées et avoir de bons passeports.

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Religion et médecine

Quand une catastrophe arrive, on voit souvent la religion prendre plus d'importance. C'était encore plus le cas à l'époque et un article dans le cahier de délibérations est riche d'enseignement en la matière. Il est signé par le prêtre et le seigneur de Cournonterral. Il est assez long mais on comprend mieux la façon de penser de l'époque. Je vous en ai transcris quelques extraits ci-dessous.

signatures

"Il est à considérer et à réfléchir suivant ce que le Prophète enseigne que toutes les maladies qui arrivent aux hommes, procèdent de la main de Dieu, et que c'est du ciel que cet être souverain et infiniment miséricordieux darde la peste et la contagion pour châtier les hommes de leurs offenses et de leurs péchés envers sa Majesté divine, de leurs iniquités et injustices envers leur prochain.
Que pour cet effet il est certain qu'il y a eu, en divers temps des maladies contagieuses, généralement rependues par tout le monde que personne ne peut douter, que Dieu pour le Péché de David, ne fit mourir de Peste septante mille hommes et que Moïse par l'ordre de Dieu même n'ait jeté autrefois en présence de Pharaon, certaines poudres afin qu'en toute la terre d'Egypte les hommes et les animaux fussent affligés de peste, que sur ce principe reconnu par les véritables chrétiens, même par les profanes, qui avouent volontiers que dans ses maladies, il y a quelque chose de divin.
Il faut que nous convenions tout nécessairement que pour contribuer efficacement à la guérison, s'il est possible, de ce mal si dangereux dont nous sommes menacés, sur l'exemple de nos voisins de Provence, et pour prévenir la chute funeste de la colère de Dieu sur nos têtes, il est expédient de commencer à penser sérieusement à la conversion de nos cœurs, pour pouvoir les offrir à Dieu en expiation de nos péchés, contrits, humiliés, purifiés par le repentir et la pénitence.

Cependant quoiqu'il soit certain que suivant la volonté de Dieu, les maladies affligent les hommes, il est certain aussi que les moyens et les secours des remèdes leur sont aussi donnés par la volonté de Dieu, pour en user comme d'instrument à sa gloire, et puisque pour cela aussi, qu'il est certain, que le Seigneur a donné aux hommes la science de la médecine pour être glorifié en ses merveilles. Par conséquent les médecins doivent êtres aujourd'hui, plus qu'ils ne l'ont été encore, dans l'antiquité considérés comme des Dieux en terre.
(...) Par une grâce du ciel spéciale et toute particulière, sommes heureux jusqu'à ce point, que Dieu porta sa providence éternelle, nous ait envoyé en ce lieu, comme autrefois dans la ville d'Athènes en temps de peste, un Hippocrate, un ange tutélaire, est LAGARDE docteur célèbre en la faculté de médecine de Montpellier pour nous conserver tout et qu' il est connue de la plus part de ceux qui composent cette assemblée, que cet illustre personnage, qui a toujours eu l'avantage d'être appelé de tous les endroits, pour secourir, traiter et guérir, principalement les personnes du premier ordre, même les Princes du sang royal auprès desquels, il a passé une bonne partie de sa vie, veut bien honorer de son affection les habitants de ce lieu et se donner à nous pour ainsi dire pour pourvoir à notre conservation et guérison et sacrifie pour nous ses propres intérets, tandis que par préférence à tous autres habilles médecins, il est désiré partout, et qu'il pourrait si honorablement et si vaillamment secourir toutes sortes de malades dans les meilleures villes de ce royaume, et partout ailleurs.
A ces causes il paroit convenable que présentement l'assemblée fasse a monsieur Lagarde des justes remerciements de sa généreuse bonté, et que chacun dans les suites en général et en particulier, lui donne de marquer de la reconnaissance et de sa gratitude.

Il convient faire pour se préserver, garantir, et guérir même en pareil cas, de la calamité et d'affliction publique, et que l'on peut faire toutes régulièrement, lorsqu'on y pourvoit d'avance, et que le bon courage, l'intelligence, l'amitié et la charité agissant de concert, chassent la peur et l'épouvante et donnent la force se résignent véritablement chacun de doit soit à la volonté de Dieu et de résoudre en même temps et se secourir constamment judicieusement et amicalement les uns les autres."

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Le curé n'en profiterait-il pas un peu ?

Une délibération du conseil de santé m'a particulièrement interpellé.

"Il convient dès à présent à tous les habitants de ce lieu d'entrer pour cet effet en de dispositions véritablement chrétiennes et de délibérer cependant dans cette assemblée, sans autre délais ni renvoi que par Me les officiers de Justice de ce lieu, a eu joints les conseillers politiques, et du bureau de santé les ordres contre les blasphémateurs du saint nom de Dieu ensemble celles qui défendent très expressément la fréquentation du cabaret surtout pendant les jours de Dimanche et de fête seront renouvelées en ce lieu publiées et affichées aux lieux accoutumés et partout ou besoin sera sur les peines de droit qu'en outre sur le rôle que Me Estienne Cayre ancien prêtre et curé de ce lieu aura la bonté de faire."

Il devient donc interdit de fréquenter les cabarets, surtout les dimanches et les jours fériés (qui sont dédiés à Dieu bien sûr).

délibération du conseil de Santé

"Il sera pourvu incessamment à ce que lors ceux qui vivent en ce lieu en quelque sorte de dissolution et de concubinage se mettent en état de lever le scandale public et de satisfaire à Dieu et aux hommes en changeant de vie pour prendre incessamment le partie d'épouser celles qu'ils ont débauchées et ce dans le délai qui leur sera prescrit par ledit Sr Seigneur Evêque de Montpellier avec le consentement et l'agreement dudit Sr Cayre curé."

Vu l'époque cela peut sembler étrange. On s'imagine mal en effet des personnes vivant en concubinage en 1727. Pourtant en étudiant les registres paroissiaux, j'ai noté qu'à plusieurs reprises des couples dit "fiancés" avaient un ou des enfants avant de se marier. C'est le cas par exemple de Barthelemy ARGENS et Gilette VALETTE qui eurent 2 enfants Etienne et Barthelemy en avril 1704 et se marièrent finalement en novembre 1705.

"Et que pour d'autant mieux purger ce lieu de toute sorte de vice et de débauche il sera dois en avance exactement pourvue et veillé à ce qu'aucune personne de quelque état et condition qu'elle soit y vienne loger et prendre droit d'herbiranage(?) sans avoir préalable fait même indiqué de bonne vie et mœurs et que si qu'errant à présent il se peut trouver quelque personne qui ne soit pas bien formée qu'il lui soit enjoint de se retirer de ce lieu suivant et conformément à ce que ledit Sr Cayre, qui a toujours eu la vice en horreur, trouvera à propos de faire suivant la prudence et la charité ordinaire pour l'édification et le bien public des habitants de ce lieu, et qu'au surplus, il soit enjoint à toute personne de quel état et condition qu'elle soit de se retirer dans leurs maisons avec défenses à tous vagabonds et autres jeunes gens quelque âge et quel sexe qu'il soit de courir et chanter par les rues scandaleusement après lesdits heures de huit sur les peines de droit et d'être extraordinairement enquis contre eux a quoi requis de délibérer."

Quand le curé parle de personnes non formées, il parle de personne non catholiques et, vu le contexte, il pense forcement aux protestants. On notera également l'interdiction de sortir, de courir et chanter après 20h. En somme, le curé estime que les habitants peuvent travailler mais ensuite il leur est interdit de se divertir.

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Fin de l'épidémie

Les mesures appliquées dans le royaume ont été efficaces et l'épidémie prend fin sans que Cournonterral n'ait été touchée.